Les prétentions du Rwanda sur le Nord-Kivu avant le XIXe siècle relèvent davantage de la légende et de la réécriture historique que de faits vérifiables. Les récits concernant des conquêtes antérieures à Kigeri IV Rwabugiri sont largement fictifs et servent à légitimer des revendications territoriales postérieures. L’histoire du royaume rwandais avant le XIXe siècle est marquée par des contradictions et des inventions, avec des figures royales comme Kigeri II Nyamuheshera ou Yuri II Gahima qui semblent avoir été créées pour combler des lacunes dynastiques.
Il est essentiel d’analyser cette question en tenant compte des contradictions soulevées par des chercheurs rwandais et étrangers, notamment sur la nature réelle des soi-disant conquêtes rwandaises avant le XIXe siècle. L’idée d’une expansion précoloniale du Rwanda au Nord-Kivu semble, selon plusieurs historiens, être une « usurpation ou une falsification historique » plutôt qu’une réalité historique.
La nature fictive des conquêtes rwandaises avant le XIXe siècle
Le Rwanda est souvent présenté comme un royaume expansionniste, mais plusieurs contradictions affaiblissent cette thèse, notamment celle d’une conquête prétendue du Nord-Kivu par les rois rwandais. L’un des principaux obstacles à cette théorie est que le Rwanda, tout en étant un nouveau royaume en formation, devait d’abord s’organiser et affirmer son autorité à l’intérieur de ses propres frontières. Il paraît donc peu probable qu’il ait eu les ressources ou l’organisation nécessaires pour mener des conquêtes externes à grande échelle.
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Jan Vansina, historien spécialisé dans l’histoire précoloniale de l’Afrique centrale, souligne que jusqu’au début du XXe siècle, le Rwanda était loin d’être un État unifié. Il note que « la conquête de l’Ouest s’avérait illusoire », en référence à la difficulté qu’avait le royaume rwandais à s’imposer même dans ses territoires occidentaux, où les Hutus résistaient constamment à l’autorité tutsie. En 1900, il conclut que le Rwanda n’avait toujours pas intégré de manière significative ces régions, rendant l’idée d’une conquête du Nord-Kivu avant cette période encore plus improbable.
Le témoignage de l’Abbé Alexis Kagame et la fiction des rois conquérants
L’Abbé Alexis Kagame, une figure respectée dans l’historiographie rwandaise, a lui-même contesté l’idée que les rois rwandais aient conquis le Nord-Kivu. Il explique que les anciens rois du Rwanda considéraient cette région comme hostile et qualifiaient la zone située au nord des volcans, habitée par des Bahutu indépendants, de « Ibubisha », un territoire ennemi. Cette perception de la région rend improbable l’idée d’une conquête rwandaise durable dans cette zone. Les Bahutu du Nord-Kivu, selon Kagame, étaient réfractaires à toute soumission à un chef tutsi, rendant leur incorporation au royaume rwandais peu plausible.
Le roi Kigeri II Nyamuheshera : un personnage imaginaire
L’un des principaux arguments en faveur d’une conquête rwandaise du Nord-Kivu repose sur le règne supposé de Kigeri II Nyamuheshera, roi qui aurait mené plusieurs campagnes militaires dans la région vers 1576-1609 ou 1640. Cependant, cette figure a été remise en question par plusieurs historiens, dont Roger Hermans et Jan Vansina. Ces derniers soutiennent que Kigeri II Nyamuheshera n’est pas un personnage historique, mais une invention ajoutée tardivement pour compléter une liste dynastique. Il n’existe aucune preuve solide attestant de son existence ou de ses prétendues conquêtes militaires, ce qui affaiblit la crédibilité de cette thèse.
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En outre, Jan Vansina va plus loin en soulignant que d’autres figures du passé rwandais, comme Yuri II Gahima et Ndahiro II Cyamatare, sont également des personnages fictifs, inventés pour renforcer la légitimité des dynasties tutsies. Si ces rois sont imaginaires, il est évident que leurs conquêtes le sont tout autant. Ces ajouts tardifs à l’histoire rwandaise constituent une tentative de réécrire le passé pour légitimer des revendications territoriales.
Aliénation culturelle et distorsion historique
L’historiographie rwandaise a parfois contribué à une forme d’aliénation culturelle, en particulier à travers l’introduction de récits historiques qui ne reposent pas sur des faits concrets. Alexis Kagame et d’autres historiens rwandais ont alimenté cette distorsion en présentant des rois fictifs comme de grands conquérants. Le cas de Gihanga, prétendu fondateur de la dynastie tutsie au XIe siècle, illustre cette tendance. Jan Vansina affirme cependant que le véritable fondateur du royaume rwandais est Ruganzu Ndori, au XVIIe siècle, ce qui diffère largement de la chronologie souvent avancée par les historiens rwandais.
Cette réécriture de l’histoire a non seulement déformé la perception du passé rwandais, mais a aussi renforcé des récits expansionnistes qui ne sont pas soutenus par des preuves historiques solides. En conséquence, des termes comme « chronologie », « conquête » et « immigration » doivent être soigneusement examinés pour éviter de tomber dans des pièges idéologiques.
L’absence de traces rwandaises sur le Nord-Kivu avant Kigeri IV Rwabugiri
Les preuves historiques indiquent que, jusqu’à l’époque de Kigeri IV Rwabugiri, vers la fin du XIXe siècle, aucun roi rwandais n’a exercé une autorité politique ou administrative sur le Nord-Kivu. Rwabugiri est connu pour avoir mené des campagnes militaires dans la région du Grand Bwisha, mais ces incursions restent limitées et ne constituent pas une véritable incorporation du territoire dans le royaume rwandais.
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Le Grand Bwisha, une région comprenant Jomba, Busanza, Binza et d’autres localités du Nord-Kivu, était convoité pour ses ressources, notamment le sel minéral et les fibres végétales du raphia. Cependant, il n’y a aucune preuve crédible qu’un roi rwandais ait établi une domination durable sur cette région avant la période coloniale. Les mentions de « conquêtes » dans l’histoire rwandaise sont souvent trompeuses, car elles masquent des réalités beaucoup plus complexes, où les tentatives de soumission se heurtaient à une forte résistance locale.
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