Résumé :
Les relations entre l’armée malienne et le groupe russe Wagner, autrefois perçues comme un partenariat stratégique solide, semblent se fragiliser. Alors que les deux forces ont récemment mené une opération conjointe dans le nord du Mali, plusieurs critiques russes laissent entendre que la coopération pourrait être remise en question. Des problèmes de communication, de stratégie et de professionnalisme des Forces armées maliennes (Fama) ont exacerbé les tensions, suggérant que Wagner pourrait réorienter ses priorités en Afrique.
Mali-Wagner : Les Premières Fissures d’une Alliance
Bamako — À première vue, l’opération conjointe entre l’armée malienne et le groupe paramilitaire russe Wagner dans le nord du Mali semblait être un succès. Le 9 octobre, des publications sur les canaux Telegram affiliés à Wagner se félicitaient du bon déroulement de la mission, qui a permis de récupérer les corps de soldats tombés lors de la bataille de Tinzawaten en juillet dernier. Cette mission, baptisée “Vengeance,” était censée marquer un tournant dans la coopération militaire entre les Forces armées maliennes (Fama) et leurs alliés russes.
Cependant, derrière ces communications officielles, des voix critiques se sont élevées. Les mercenaires de Wagner ont dénoncé des dysfonctionnements notables, notamment des retards et un manque de coordination, qu’ils attribuent aux gradés maliens. Ces tensions mettent en lumière les fragilités de l’alliance entre Bamako et le groupe paramilitaire russe, à un moment où la stabilité du Sahel reste un enjeu crucial.
Une opération retardée par des divergences internes
L’opération “Vengeance,” annoncée en grande pompe, n’a pas produit les résultats attendus. Contrairement à ce que nombre d’observateurs prévoyaient, aucune confrontation majeure n’a eu lieu avec les groupes armés qui opèrent dans la région, qu’il s’agisse des indépendantistes touaregs ou des jihadistes affiliés à l’État islamique et à Al-Qaïda. L’absence de combats d’envergure a surpris et déçu, notamment du côté russe.
Des messages diffusés sur Telegram, émanant de comptes affiliés à Wagner, ont révélé des tensions internes. Selon ces sources, les retards dans l’opération sont dus aux « hésitations » des gradés maliens, qui auraient refusé de fournir du carburant à leurs partenaires russes à temps. Cette lenteur a non seulement retardé l’offensive, mais elle a également offert aux groupes armés adverses le temps de se renforcer.
Autre critique majeure : la gestion de l’information par l’armée malienne. Les combattants maliens auraient divulgué des détails de l’opération sur les réseaux sociaux, publiant leurs positions et permettant ainsi à des analystes occidentaux de suivre la progression du convoi en temps réel. Pour les mercenaires russes, ce manque de discrétion représente une grave erreur tactique, et alimente leur frustration croissante.
Des critiques sévères du côté russe
La relation entre Wagner et l’armée malienne n’a jamais été sans difficultés, mais les récentes critiques révèlent un fossé de plus en plus profond entre les deux forces. « Les Russes sont exaspérés par ce qu’ils perçoivent comme un manque de professionnalisme de leurs alliés maliens », explique un expert militaire spécialisé dans les opérations du groupe Wagner en Afrique.
Ces critiques, qui circulent en coulisses, pointent également un problème plus large : une différence de vision stratégique entre Bamako et Moscou. Alors que les Maliens comptent sur Wagner pour fournir un soutien logistique et militaire sur le terrain, les mercenaires russes estiment que leurs efforts sont minés par une gestion inefficace et un manque de coordination de la part des forces maliennes.
Cette condescendance de la part des mercenaires russes n’est pas sans effet sur les Maliens. Les officiers maliens n’apprécient guère d’être considérés comme des amateurs par leurs partenaires russes, et cette tension pourrait à terme peser lourdement sur la coopération entre les deux entités. Le fossé entre Wagner et l’armée malienne s’élargit, et certains experts estiment qu’une révision des termes de leur partenariat pourrait être envisagée dans un avenir proche.
Wagner en pleine réorganisation en Afrique
Cette situation délicate intervient alors que Wagner traverse une période de réorganisation profonde. Après la mort de son fondateur, Evgueni Prigojine, en août 2023, le groupe paramilitaire a été intégré dans une nouvelle structure appelée Africa Corps, une nébuleuse plus large qui supervise les opérations russes sur le continent. Plusieurs sources ont laissé entendre que Wagner pourrait rediriger ses forces vers la Centrafrique, un autre point stratégique pour Moscou en Afrique, laissant le Mali dans une position plus fragile.
Selon ces sources, le groupe paramilitaire pourrait revoir sa stratégie au Mali, en s’éloignant d’une approche purement terrestre pour se concentrer davantage sur l’utilisation de drones. Ce changement de cap répondrait à une demande croissante de l’armée malienne, qui cherche à renforcer ses capacités en matière de renseignement aérien et de frappes ciblées, dans un contexte où le contrôle du ciel sahélien devient un enjeu de plus en plus crucial.
La montée en puissance de la guerre des drones au Sahel
Le nord du Mali, théâtre de l’opération “Vengeance,” est devenu le terrain d’une guerre technologique de plus en plus sophistiquée. Les groupes jihadistes qui opèrent dans la région ont fait des drones un élément central de leur stratégie, utilisant des modèles commerciaux pour surveiller et attaquer les forces maliennes. Cette “guerre des drones” transforme la dynamique du conflit dans le Sahel.
Les forces maliennes, conscientes de ce déséquilibre, cherchent à moderniser leur arsenal, notamment en se tournant vers des fournisseurs étrangers comme la Turquie, qui est devenue un acteur clé dans la fourniture de drones armés à travers l’Afrique. Les drones turcs, déjà utilisés au Mali et au Burkina Faso, sont perçus comme une alternative efficace face à la menace jihadiste.
Wagner, qui dispose déjà de drones de type Zala, pourrait capitaliser sur cette demande croissante en renforçant sa présence aérienne dans la région. « L’utilisation de drones est devenue un outil indispensable pour les forces maliennes », explique un analyste militaire. « La capacité de contrôler l’espace aérien fait désormais la différence entre une victoire et une défaite dans cette guerre asymétrique. »
Une coopération en suspens ?
Le partenariat entre Wagner et l’armée malienne, bien qu’encore fonctionnel, semble fragile. Les récents différends sur la gestion de l’opération “Vengeance” et les critiques russes sur le professionnalisme des Fama pourraient marquer un tournant dans cette coopération. Si Wagner décide de réorienter ses priorités vers d’autres régions d’Afrique, comme la Centrafrique, cela laisserait le Mali dans une situation délicate, face à des adversaires toujours plus sophistiqués sur le plan technologique.
Cependant, des observateurs estiment que la coopération entre Bamako et Wagner ne devrait pas s’interrompre brutalement. « Il est peu probable que Wagner abandonne complètement le Mali », explique un expert. « Mais les termes de leur partenariat pourraient changer, avec peut-être un rôle plus limité pour les forces terrestres et une concentration accrue sur les technologies de guerre aérienne. »
Dans un contexte régional de plus en plus instable, la question de la dépendance du Mali vis-à-vis de Wagner reste posée. Alors que la pression internationale sur les mercenaires russes se fait sentir, notamment depuis l’invasion de l’Ukraine, la présence de Wagner en Afrique devient un sujet de préoccupation pour les puissances occidentales, qui craignent une expansion de l’influence russe dans la région.
© O Bulamba / LNL News