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Friday, September 27, 2024

La République du Rwanda : Brève histoire des rivalités, stratégies et ruses politiques (Série n°1)

Le Rwanda constitue une enclave dans la région des Grands Lacs Africains : à l’ouest du lac Victoria, à l’est du lac Kivu, entre l’Afrique centrale et l’Afrique orientale. Sa superficie est de 26338 km2 et le pays est dominé par de hautes montagnes, des volcans et des hauts plateaux. Les collines aux flancs escarpés sont recouvertes d’un sol pauvre, fin et fragile qui nourrit à grand-peine toute la population. Depuis 1962, année de son indépendance, la scène politique rwandaise est dominée par des tensions ethniques. « Hutus » et « Tutsis », deux noms dont la signification exacte échappe à la plupart, et l’élément déclencheur d’une « tragédie humaine » dans la sous-région.

Des rivalités, stratégies et ruses politiques

Selon l’historien Antoine Théophile Nyetera, descendant en ligne directe du mwami (roi) Kigeri III Ndabarasa, dans son rapport intitulé « La vérité sur le conflit Hutu-Tutsi » devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha (2001-2002) d’où a tiré un extrait dont nous abordons aujoud’hui ; Nyetera écrit que l’Église catholique et les agents coloniaux sont les premiers à condamner pour « avoir été à l’origine du génocide ». Celui-ci aurait commencé avec la révolte de novembre 1959, pour connaître son paroxysme en 1994. Le FPR [Front patriotique du Rwanda] a conçu et diffusé un « tissu de mensonges et de contradictions » pour cacher les faits réels afin de « réécrire l’histoire du Rwanda au profit de sa reconquête du pouvoir oligarchique ».

À titre d’exemple, selon le FPR, les termes Twa, Tutsi et Hutu seraient l’œuvre des missionnaires et des autorités mandataires. Mais aussi, pour lui les Hutus seraient prédisposés à tuer et porteraient des gènes du génocide depuis des générations, alors que pour s’installer dans la région, ces derniers « n’ont jamais tué personne ni attaqué les pays voisins ». Les Tutsis, par contre, « n’ont fait que tuer les chefs de groupes voisins pour agrandir leur territoire jusqu’au-delà des frontières ». Antoine Nyetera explique d’abord longuement comment la monarchie tutsie s’est installée, puis s’est maintenue jusqu’à la fin des années 1950. Elle a eu « recours à toutes sortes de subterfuges, d’alliances et de stratagèmes pour asseoir son autorité et subjuguer le reste des composantes sociales considérées [dès lors] comme des sujets corvéables à merci ».

Le mythe de l’intelligence supérieure de la composante tutsie

Un système d’éducation et de socialisation fut alors instauré : « le mythe de l’intelligence supérieure de la composante tutsie et de sa prédestination à régner sur les autres est inculquée à la population ». C’est le système que trouvent les Allemands qui sont les premiers à coloniser l’ensemble que constituent aujourd’hui le Rwanda et le Burundi. Administrateurs et missionnaires allemands s’appuient sur la monarchie tutsie pour diriger le pays. Les Belges qui reçoivent mandat de la communauté internationale, après la Première Guerre mondiale, pour diriger le Ruanda-Urundi, continuent le système instauré par les Allemands. « Les Tutsis sont confortés dans leur pratique d’asservissement des Hutus ». C’est le ministre belge des colonies lui-même qui, dans son rapport à la Société des Nations (1938), a exprimé son désir de « MAINTENIR ET DE CONSOLIDER LE CADRE TRADITIONNEL DE LA CLASSE DIRIGEANTE DES BATUTSI A CAUSE DES GRANDES QUALITES DE CELLE-CI, SON INDENIABLE SUPERIORITE INTELLECTUELLE ET SON POTENTIEL DE COMMANDEMENT ».

« Manifeste des Bahutu »

Dans les années 1950, l’Église catholique participe à l’émancipation des Hutus. Dans son message de Noël 1954, le pape Pie XII appelait les prêtres et les laïcs à s’élever contre l’injustice sociale ; le journal missionnaire rwandais Kinyamateka publia fidèlement la doctrine sociale de l’Église entre 1956 et 1958, notamment les encycliques sociales papales. Cependant, dans le contexte du Rwanda, la déclaration de l’Église sur le droit et le devoir de parler des questions sociales a été interprétée comme une trahison par la classe dirigeante et par le roi lui-même.

En mars 1957, les Hutus préparent un mémorandum sur leurs revendications appelé « manifeste des Bahutu », qu’ils adressent notamment au ministre belge des Colonies et au Conseil de tutelle de l’ONU. Que dit ce manifeste ? Il exige : « le partage des terres, la suppression des latifundia, dits ibikingi, qui étaient propriétés et pâturages des seuls chefs, sous-chefs et notables tutsis ; et la participation des Hutus à l’administration territoriale… puisque, sur 540 sous chefferies, seules deux d’entre elles étaient dirigées par des Hutus. Les 45 chefs dirigeant les chefferies étaient tous tutsis ; parmi les 50 juges de tribunal de chefferies, pas un seul Hutu ; sur les 10 juges de tribunal de territoire, pas un seul Hutu ».

Le manifeste présentait le problème Hutus-Tutsis en ces termes : « La question Hutus-Tutsis constitue le problème n° 1 au Ruanda, parce qu’il met en cause la coexistence même du groupe numériquement supérieur, d’une part, et du groupe politiquement et économiquement supérieur, d’autre part. C’est la vie même du peuple rwandais qui est en jeu ici. (Tutsis : 14 %, Hutus : 85 % et Twas : 1 %) ».

Et il réclamait une égalité de fait de tous les citoyens du pays par l’instauration d’un régime démocratique de nature à mettre au premier rang le mérite et à garantir au maximum, à tous les citoyens, une égalité de fait devant les droits, les obligations, les honneurs ou les charges ; une structure politique et administrative où les privilèges de caste soient bannis de façon à assurer à tous les citoyens, indistinctement, l’égalité de chances devant l’accession à tous les emplois publics et notamment aux postes de direction…

L’écho de l’agitation des Hutus parvient jusqu’à New York. L’ONU, qui a reçu les pétitions des Hutus, s’inquiète de la « situation inégalitaire du Ruanda-Urundi ». Et c’est ainsi que le rapport de la Mission de 1957 aborde de front, pour la première fois, le problème « Hutus-Tutsis », jusqu’alors systématiquement nié par les dirigeants tutsis et minimisé par la Tutelle belge. Il critique les fondements mêmes de la politique belge dans le territoire, qui consiste avant tout à favoriser le développement économique et à repousser toujours dans l’avenir la question d’un développement politique et social. Il insiste sur l’urgence d’une évolution en ce sens : « la Tutelle doit faire tout son possible pour hâter l’émancipation des Hutus afin d’accélérer sans danger le processus démocratique ».

Au paragraphe 45 de son rapport, l’ONU écrit : « … Ceci marquera dans une large mesure la fin du danger de l’exploitation des cultivateurs bantous par les pasteurs hamites, mais posera d’autres problèmes tout aussi angoissants ». L’ONU a apporté ainsi aux auteurs du « Manifeste hutu » une aide politique et une publicité exceptionnelles.

Les notables de la Cour du mwami furent les premiers à protester contre les revendications des Hutus. Ils déclarèrent sans détours qu’ils n’avaient pas à partager le pouvoir avec les Hutus, que ces derniers n’étaient pas leurs frères, mais plutôt « leurs esclaves ». L’opinion de ces notables fut résumée dans un document signé par onze serviteurs du roi, « Abagaragu cumi na babili b’Ibwami », dans lequel ils retracèrent l’histoire de la formation de l’État rwandais et son évolution depuis des millénaires. « Ils rappelèrent d’abord, poursuit Antoine Nyetera, qu’ils étaient des descendants du Ciel (“ibimanuka”), et qu’ils n’avaient donc pas de fraternité avec les terrestres. Ils recommandèrent au roi de ne pas permettre le partage de leurs latifundia avec les Hutus, et proposèrent que les Hutus aillent plutôt habiter à Gishari et à Mokoto, au Kivu [aujourd’hui en République démocratique du Congo], au cas où ils auraient besoin de terres ».

Les pétitionnaires hutus furent bientôt condamnés pour leur « séparatisme » et traités de « divisionnistes », d’« inyangarwanda » – d’« ennemis du Rwanda ». On leur fit entendre que les problèmes du pays étaient dus à l’ingérence européenne dans les affaires nationales et que, s’ils voulaient avoir des juges et des chefs hutus dans l’avenir, ils devaient tous travailler plus durement. Le Conseil supérieur du pays du 9 au 12 juin 1958 qui s’était saisi de la Question sociale Hutus-Tutsis, se termina par un rejet méprisant des revendications des Hutus : « Il n’y a pas de problème Hutus-Tutsis, le Rwanda est un peuple uni, sans différence de castes ou d’ethnies, le reste est une machination du colonisateur qui veut diviser pour régner ! »

Le mwami Mutara III Rudahigwa avait proféré une menace à peine voilée à destination des pétitionnaires : « Je ne crois pas me tromper en déclarant que c’est pour la première fois depuis toute l’existence du Ruanda que l’on entend parler de ce problème, récemment débattu ici au Conseil, de l’opposition, des Hutus et des Tutsis, mais j’espère que c’est pour la dernière fois, car la division et l’opposition au sein d’un peuple sont tout ce qu’il y a de funeste à son progrès. Personne ne m’empêchera de traiter de criminels ceux qui sèment, entretiennent ou nourrissent d’aussi basses intentions… » Puis de poursuivre : « Je vous recommande à tous avant mon départ de vous ranimer mutuellement pour vous rallier et colmater les brèches […]. Tous les auteurs de cette désunion méritent l’opprobre public et une sérieuse condamnation. Les promoteurs de pareils méfaits ne sauraient se cacher, et si la chose se répète, l’arbre qui produit ces fruits, je l’extirperai. Il en coûtera cher à quiconque s’insurge contre le Ruanda ou cherche sa désunion. Quant à celui qui lui tend des pièges, il se verra lui-même pris dans ses propres filets ».

Malgré la tentative d’intimidation du roi contre toute contestation de son autorité, l’ONU veilla à ce que le Ruanda-Urundi se dote d’institutions démocratiques, d’un pouvoir issu d’élections libres et de partis politiques (organisations à travers lesquelles le peuple pourrait s’exprimer et influencer le pouvoir). L’évolution politique était inéluctable. Mutara III Rudahigwa eut alors l’idée de créer un parti politique, l’Union nationale rwandaise (UNaR), destiné à soutenir les chefs, les sous-chefs et les grands fonctionnaires, tous tutsis.

L’UNaR visait à rassembler tous les Rwandais autour d’un programme dont les objectifs apparaissaient légitimes à l’époque, tels que la mise en place d’une « monarchie constitutionnelle », la séparation des pouvoirs, l’autonomie interne acquise en 1960, puis l’indépendance déclarée en 1962. Il considérait le problème Hutus-Tutsis comme une invention des Belges destinée, on l’a vu, à « diviser pour régner ». En fait, l’UNaR devait servir à préserver le monopole du pouvoir tutsi. Ce qui est appliqué aujourd’hui par le FPR sous le haut patronage de Paul Kagame. « Le régime actuel est le modèle de la gouvernance monarchique institutionnelle de Mutara III Rudahigwa ».

Comme les Hutus contestaient l’indépendance immédiate sous un régime dominant tutsi, comme ils réclamaient au préalable un « partage du pouvoir équitable entre les composantes de la société rwandaise », ils étaient désignés comme « ennemis », tenus pour des hommes achetés par les Blancs, et diabolisés, comme c’est le cas aujourd’hui encore depuis l’avènement du FPR.

De leur côté, des Hutus lancent l’Association pour la Promotion sociale de la masse (APROSOMA) dont la mission consistée à populariser le « Manifeste des Bahutus » ; pour autant, celle-ci ne s’oppose pas, au début tout au moins, au principe monarchique. Des Hutus radicaux créent de leur côté le Parti du Mouvement de l’émancipation hutue (PARMEHUTU).

C’est dans ce contexte, en novembre 1959, que surviennent les événements qui resteront dans l’histoire rwandaise sous le nom de « Révolution sociale ». Cet épisode est la clé permettant de comprendre les événements qui déboucheront sur la tragédie rwandaise depuis l’indépendance du pays.

© LNL News 2023, tous droits réservés                          Daniel MOMBELE

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