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Friday, October 18, 2024

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L’Afrique et les Crédits Carbone : L’Équilibre Délicat Entre Opportunité et Risque

© Bonobosworld

Résumé :
Alors que le marché mondial des crédits carbone se développe, l’Afrique, avec ses vastes forêts et ses écosystèmes uniques, se trouve au centre d’un débat croissant. Le bassin du Congo, en particulier, attire l’attention des entreprises mondiales cherchant à compenser leurs émissions de carbone. Cependant, les critiques concernant l’impact réel de ces projets et les risques pour les communautés locales soulèvent des questions importantes. Cet article examine les défis et opportunités pour le continent africain à travers le prisme de ces initiatives environnementales.


Kinshasa — Sous la canopée dense du bassin du Congo, des enjeux colossaux se jouent. Le marché mondial des crédits carbone, où les entreprises paient pour compenser leurs émissions de gaz à effet de serre, a fait de cette région l’un des lieux les plus convoités du globe. Avec 2 millions de kilomètres carrés de forêts, ce bassin, qui s’étend sur six pays africains, est un acteur clé dans la lutte mondiale contre le changement climatique. Mais cette ressource naturelle précieuse soulève aussi des questions fondamentales : les crédits carbone peuvent-ils véritablement bénéficier à l’Afrique, ou risquent-ils de reproduire les inégalités économiques et environnementales du passé ?

Alors que les entreprises internationales, telles que Shell, Apple et Netflix, investissent dans des projets de compensation carbone, le potentiel financier pour l’Afrique est indéniable. En 2022, le marché des crédits carbone volontaire a généré plus de 2 milliards de dollars, et l’Afrique subsaharienne, en particulier la République démocratique du Congo (RDC) et le Kenya, s’impose comme un fournisseur majeur de ces crédits.

Une Promesse Économique

Lydia Sheldrake, directrice des politiques et des partenariats à l’Initiative pour l’intégrité des marchés volontaires du carbone (VCMI), explique que ces fonds peuvent être orientés vers des projets de développement durable, qu’il s’agisse d’énergies renouvelables, d’agriculture durable ou d’infrastructures pour les communautés locales. “C’est un flux de financement qui n’aurait pas existé sans les marchés du carbone”, affirme-t-elle.

Toutefois, les promesses de développement économique suscitent également la méfiance. Beaucoup craignent que les crédits carbone ne soient qu’une façade pour les grandes entreprises cherchant à soigner leur image environnementale, tout en continuant à émettre des quantités massives de CO2. Paul Muthaura, PDG de l’Africa Carbon Markets Initiative, exprime ce scepticisme : “Certaines entreprises semblent plus préoccupées par l’apaisement de leurs actionnaires que par un réel changement.” Cette situation, dénoncée comme du greenwashing, remet en question l’intégrité du marché des crédits carbone.

Des Projets Contestés

Dans certains cas, l’impact des projets carbone a été largement surestimé. Une étude publiée en 2023 par la revue Science a examiné 26 projets dans plusieurs pays et a révélé que la plupart n’avaient pas eu l’impact escompté. En effet, les réductions de la déforestation étaient nettement inférieures à celles annoncées, remettant en cause la crédibilité des crédits émis.

Le Kenya a tenté de remédier à cette situation en adoptant une nouvelle réglementation en 2023. Cette législation impose des contrôles rigoureux sur les projets de compensation, exigeant que 40 % des revenus générés par les crédits carbone soient reversés aux communautés locales. Ces mesures visent à garantir que les crédits carbone profitent directement aux populations concernées, tout en améliorant la gestion des ressources naturelles.

Des Défis Éthiques

Mais le succès de ces projets n’est pas uniquement une question de réglementation. En République démocratique du Congo, par exemple, les projets de compensation carbone ont parfois eu des conséquences inattendues. Des agriculteurs ont été déplacés de leurs terres pour permettre la mise en œuvre de projets forestiers, perdant ainsi leurs moyens de subsistance. Ce type de situation a alimenté les critiques selon lesquelles ces initiatives reproduisent des formes de néocolonialisme, où les populations locales paient le prix des ambitions environnementales des grandes entreprises mondiales.

Les préoccupations éthiques autour des crédits carbone ne se limitent pas à la RDC. En 2023, les Émirats arabes unis ont signé un accord avec le Liberia, cédant pour 30 ans les droits exclusifs sur un million d’hectares de forêts à une société privée. Cet accord a suscité des inquiétudes sur la répartition des bénéfices et sur les impacts à long terme pour les communautés locales.

L’Afrique Face à Son Avenir Vert

Pourtant, malgré ces défis, l’Afrique dispose d’un potentiel unique pour tirer parti de la transition verte mondiale. Le Gabon, pionnier dans la gestion de ses ressources forestières, a déjà récolté des bénéfices financiers pour ses efforts de conservation. En 2021, le pays a reçu 17 millions de dollars de l’Initiative pour la forêt d’Afrique centrale, ce qui en fait le premier pays africain à percevoir des paiements pour ses actions de préservation des forêts.

“Nous devons veiller à ce que les dispositifs de crédits carbone respectent les normes d’intégrité”, souligne Lydia Sheldrake. Les projets doivent être audités par des organismes indépendants, et les résultats rendus publics pour garantir la transparence. Selon elle, seule une approche rigoureuse permettra aux marchés du carbone de gagner la confiance des investisseurs et de bénéficier durablement à l’Afrique.

Alors que la demande pour les crédits carbone continue de croître, les prix restent encore relativement bas, particulièrement en Afrique. Lors d’une vente aux enchères en juin 2023, le prix moyen par tonne de carbone était de 6,26 dollars, bien en deçà des prix observés en Europe, où la tonne peut se vendre jusqu’à 100 dollars.

Un Marché Prometteur, mais Délicat

L’avenir du marché des crédits carbone en Afrique dépendra de plusieurs facteurs : la mise en place de cadres réglementaires solides, l’intégrité des projets et la participation active des communautés locales. Si ces conditions sont réunies, le continent pourrait jouer un rôle central dans la lutte contre le changement climatique, tout en stimulant sa croissance économique.

Pourtant, ce potentiel est encore fragile. L’équilibre entre les bénéfices économiques et la protection des droits des communautés locales sera essentiel pour que l’Afrique puisse pleinement profiter de la transition verte, sans en subir les effets négatifs.

L’Afrique se trouve à un tournant de son histoire. Avec ses vastes ressources naturelles et sa capacité à capter les émissions de carbone, le continent est bien positionné pour devenir un leader mondial dans la lutte contre le changement climatique. Mais ce succès dépendra de sa capacité à construire un marché des crédits carbone à la fois équitable et durable, au service de son propre développement.

© 2024 – O Bulamba / ADR

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