Alors que Paul Biya, le président vieillissant du Cameroun, approche de la fin de son règne de plusieurs décennies, la question de la succession plane sur le pays. C’est un défi qui, au-delà de la personne de Biya, met en lumière les problématiques de leadership sur le continent africain.
Le 8 octobre 2024, une rumeur, lancée par une obscure chaîne de télévision basée aux États-Unis, annonçait la mort de Paul Biya, 91 ans, au pouvoir depuis plus de 40 ans. Bien que rapidement démentie, cette rumeur a suscité des discussions fébriles au Cameroun et au-delà. Après des décennies de règne, que se passera-t-il lorsque Biya ne sera plus là ?
Pour beaucoup, la réponse est incertaine. Le Cameroun est un pays où l’absence de plan de succession clair menace de déstabiliser un système politique longtemps dominé par une seule figure. Pourtant, le cas de Biya est loin d’être unique sur le continent africain, où de nombreux dirigeants ont préféré l’opacité sur leur santé et leur futur, plutôt que de préparer leurs pays à une transition ordonnée.
Le Déni de la Réalité
Le règne de Paul Biya incarne un phénomène courant parmi les dirigeants africains de longue date : le refus de confronter la réalité de leur propre mortalité et la peur de céder le pouvoir. Comme d’autres avant lui – Mugabe au Zimbabwe, Bouteflika en Algérie, ou encore Omar Bongo au Gabon – Biya a évité tout débat public sur son état de santé et a maintenu une posture de force, même face à l’inévitable affaiblissement lié à l’âge. Cette stratégie de dissimulation a des conséquences profondes.
Lorsque des dirigeants s’accrochent au pouvoir sans envisager leur succession, le risque est grand de plonger leur nation dans une période de turbulences. La Libye, après la mort de Kadhafi, s’est enfoncée dans le chaos, faute d’un plan de transition solide. De même, l’Algérie a traversé une période de crise profonde lorsque Bouteflika, incapable de gouverner, a refusé de céder sa place.
Le Cameroun pourrait-il suivre ce chemin ? La question est sur toutes les lèvres, d’autant plus que les spéculations sur la santé de Biya vont bon train, alimentant les incertitudes politiques.
La Transparence : Une Condition pour la Stabilité
Dans ce contexte, la question de la transparence devient cruciale. Les chefs d’État africains doivent être francs sur leur état de santé et sur les mesures mises en place pour assurer la continuité du gouvernement. La santé des dirigeants n’est pas qu’une affaire privée lorsqu’elle affecte la stabilité du pays.
Certains dirigeants ont compris l’importance de la transparence. Patrice Talon, président du Bénin, a publiquement communiqué sur ses opérations médicales, démontrant qu’une communication honnête sur la santé d’un leader peut apaiser les craintes du public. En revanche, ceux qui refusent de rendre des comptes, comme ce fut le cas avec Bouteflika ou Mugabe, aggravent souvent l’instabilité.
L’absence de transparence au Cameroun – et ailleurs en Afrique – alimente les rumeurs et les spéculations, créant une atmosphère de méfiance et d’incertitude. Cette opacité menace de précipiter des luttes de pouvoir internes lorsque le moment de la succession viendra.
Leçons pour les Dirigeants Africains
Alors que Paul Biya approche inévitablement de la fin de son règne, les dirigeants africains peuvent tirer de précieuses leçons de cette situation pour mieux préparer leur propre transition. Voici quelques principes clés pour éviter l’instabilité et assurer une transition ordonnée.
1. Accepter la Finitude : Le Pouvoir n’est pas Éternel
Les chefs d’État doivent reconnaître que le pouvoir est temporaire. Gouverner, c’est aussi savoir partir au bon moment. Nelson Mandela l’a prouvé : un départ planifié, après un mandat unique, peut renforcer l’héritage d’un leader et la stabilité d’un pays. S’accrocher au pouvoir, en revanche, ne fait que fragiliser les fondements démocratiques.
2. Planifier la Succession : Un Devoir de Leader
Un leader avisé anticipe sa succession bien avant que cela ne devienne une urgence. Le cas libyen démontre les dangers d’une absence de plan de transition. Les luttes de pouvoir internes, souvent sanglantes, qui surviennent après la mort ou la chute d’un dirigeant, sont évitables si des processus clairs de succession sont en place.
3. Renforcer les Institutions : Au-delà de l’Homme
Un pays ne peut reposer éternellement sur un seul individu. Les institutions doivent être assez solides pour garantir la continuité de l’État, même en l’absence du chef. Le Rwanda, sous la direction de Paul Kagame, a investi dans des réformes institutionnelles qui devraient, en théorie, pouvoir fonctionner au-delà de la personnalité du dirigeant.
4. Écouter son Peuple : Maintenir la Légitimité
Les révoltes populaires qui ont balayé plusieurs nations lors du printemps arabe montrent à quel point il est crucial pour un dirigeant de rester connecté aux besoins de son peuple. Les manifestations en Tunisie et en Égypte ont mis en lumière les dangers d’un leadership déconnecté, où les dirigeants, cloisonnés dans leur pouvoir, ne prêtent plus attention aux aspirations populaires.
5. Investir dans la Jeunesse : Bâtir l’Avenir
Le véritable avenir de l’Afrique réside dans sa jeunesse. Avec une population jeune et en pleine expansion, les dirigeants doivent investir dans l’éducation, la formation et l’emploi des jeunes pour garantir la stabilité à long terme. Les manifestations de jeunes au Nigeria et en Afrique du Sud montrent que négliger cette population peut avoir des conséquences déstabilisatrices.
Paul Biya et l’Avenir du Cameroun
Alors que Paul Biya continue de gouverner malgré l’âge et les rumeurs, le Cameroun se trouve à un tournant critique. La question de sa succession, inévitable, soulève des inquiétudes légitimes. Le Cameroun, comme d’autres nations africaines, doit se préparer à l’après-Biya. Une transition mal gérée pourrait semer la discorde, tandis qu’une planification réfléchie pourrait assurer une stabilité durable.
Au final, la longévité au pouvoir n’est pas le marqueur d’un grand leader. Ce qui importe vraiment, c’est la capacité d’un dirigeant à préparer son pays à prospérer, même après son départ. C’est là l’héritage véritable que Paul Biya et ses homologues africains peuvent laisser derrière eux.
© Odon Bulamba / LNL News